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Wachiya! Nibiischii

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Récit d'un séjour de pêche en Eeyou Istchee Baie-James

HOOKÉ x NIBIISCHII en collaboration avec TOURISME AUTOCHTONE QUÉBEC

UN TEXTE DE JOSÉE CÔTÉ

 

Au nord du 50e parallèle s'étend une contrée à perte de vue, des lacs restés jusque-là intacts et baignés d'une eau limpide, inestimables miroirs regorgeant de leur faune, préservés de la surexploitation. C'est la Corporation Nibiischii qui s'impose sur ce territoire majestueux, gérant la plus grande Réserve faunique du Québec, soit la réserve faunique des lacs Albanel-Mistassini-Waconichi (AMW), ainsi que celle de Assinica. La Nation crie de Mistissini, via sa Corporation, s'efforce de maintenir une exploitation de pêche récréative durable qui soit respectueuse de la faune, des habitats et du mode de vie traditionnel cri.

UN TERRITOIRE PRÉCIEUX À SAUVEGARDER

Au bout de la route 167 nord, défilent sur des centaines de kilomètres une succession de gigantesques rivières, une multitude de lacs de toutes formes et dimensions, Mistassini, Albanel, Waconichi, Robineau et bien d'autres encore. Le territoire des réserves fauniques couvre plus de 25 000 km2 et compte plus de 5 000 lacs. Les employés de la Corporation Nibiischii ainsi que les maîtres de trappe cris et leur famille occupant le territoire se font un plaisir de transmettre aux visiteurs les renseignements pertinents qui faciliteront leur séjour de pêche ou de canot-camping. Parmi ceux-ci, Stanley Mianscum, maître de trappe connaissant le territoire comme le fond de sa poche, est aussi le représentant local du CTA (Cree Trappers' Association), une association visant à favoriser, promouvoir, protéger et aider à préserver le mode de vie, les valeurs, les activités et les traditions des trappeurs cris. Depuis des temps immémoriaux, la Nation Crie a su préserver la pêche traditionnelle sur ces innombrables étendues d'eau. Grâce à cet égard pour la nature, les autochtones de la région connaissent instinctivement la manière de conserver la stabilité des habitats et des populations de poissons qui les nourrissent. Ils transmettent et font respecter cette façon de faire d'une génération à l'autre afin de préserver l'équilibre écologique de leurs ressources et pour s'assurer que celles-ci soient réparties équitablement dans la communauté.

 

« Les Premières Nations habitent ces lieux depuis toujours et connaissent mieux que quiconque la relation fragile entre la nature et l'humain. »

 

C'est donc un privilège de pouvoir accéder à des environnements aussi inestimables, dans une cohabitation harmonieuse avec ceux qui ont su les préserver.

LA SANTÉ DE LA RESSOURCE

Afin de respecter cet équilibre, la Nation Crie de Mistissini, en collaboration avec l'Université Concordia, a mis en place un programme de suivi de l'état de santé des populations de poissons, incitant les pêcheurs cris de Mistissini ainsi que les pêcheurs récréatifs visitant les réserves fauniques, à participer à un inventaire à grande échelle. « Depuis plusieurs années, la Nation crie de Mistissini mène des études de recherche sur diverses espèces de poissons afin de gérer et de surveiller l'état de ces populations, dans le but de maintenir la santé de cette ressource pour les générations futures. Grâce à l'utilisation des connaissances locales des Cris avec la recherche scientifique, ces études sur les poissons ont permis d'intégrer différentes perspectives et de mieux comprendre les espèces de poissons étudiées et leur habitat», explique Madame Pamela McLeod, agente locale au département de l'environnement de Mistissini. En communiquant les uns aux autres tout changement observé sur les lacs de leur territoire, que ce soit la quantité de ressources disponibles, la taille des poissons, les espèces rencontrées ou la qualité de l'eau, ils sont en mesure de déterminer si la ressource a besoin de se régénérer pendant un certain temps, afin de laisser l'écosystème de la zone se rééquilibrer. À la suite de ces échantillonnages, les pêcheurs autochtones ont observé que les lacs au sud du 51e parallèle comportaient des poissons de moindre taille alors qu'ils sont plus imposants dans les lacs plus au nord. Cela s'expliquerait par le fait que les lacs situés au sud sont plus accessibles et donc davantage pêchés - tant par les résidents que par les visiteurs - alors qu'au nord, les lacs sont plus isolés et moins pêchés.

Comme partout ailleurs, des mesures de protection s'imposent afin de préserver les populations de poissons. Comme dans la plupart des zones de pêche, les plus gros poissons sont génétiquement plus résistants et pondent plus d'oeufs ils sont donc essentiels à la reconstitution des stocks. Les pêcheurs locaux sont très au fait de ces informations et évitent la surpêche en prélevant strictement la ressource dont ils ont besoin pour se nourrir, en effectuant des prélèvements périodiques à certains moments de l'année, en respectant la taille des poissons, les périodes de fraie selon les espèces, les quotas, ou en changeant carrément de lac pour laisser les populations se renouveler. On assiste néanmoins à une diminution des populations sur 3 rivières du sud due probablement à des impacts environnementaux, des changements climatiques ou des fluctuations dans la température de l'eau.

Bien sûr, les lacs de la région sont baignés par des eaux limpides et peu fréquentées qui regorgent de poissons de différentes espèces: “mâsamekus” (omble de fontaine), “ucimâw” (grand brochet) et “Ukâw” (doré jaune). Ils sont tout de même vulnérables à la surpêche. Les nouvelles techniques de pêche et le matériel sophistiqué pourraient venir débalancer

le fragile équilibre que la pêche traditionnelle a permis de préserver. C'est pourquoi les pêcheurs locaux priorisent la bonne vieille canne à pêche qui permet une bataille plus juste entre les deux belligérants. Lorsqu'il est question de pêche sportive et que les habitudes alimentaires ne sont pas un enjeu, d'autres options comme la remise à l'eau sont aussi envisageables. Au sein des réserves fauniques, des quotas sont applicables pour chaque plan d'eau et se doivent d'être respectés afin de maintenir les populations halieutiques en santé ainsi qu'une bonne qualité de pêche. Ces quotas sont révisés annuellement par le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) à la suite de l'analyse des données de captures.

MATHIEU ET LE GRAND UCIMÂW

Dans une perspective de préservation et de respect de la pêche traditionnelle, la pêche à la mouche avec remise à l'eau fait figure de bon élève. Cette technique de pêche étant peu employée pour la pêche au brochet, c'est donc quelque peu dubitatif que Mathieu et ses compagnons d'armes, Juliette et Fred, se lancent dans l'aventure Nibiischii. Ils ont comme objectif ambitieux, en cette dernière semaine de juin, de prendre le plus gros brochet qui soit.

Le groupe quitte donc Québec au petit matin. C'est la première fois que Mathieu se retrouve au nord de Chibougamau et, à mesure qu'il franchit les kilomètres, il constate que le paysage se transforme, laissant place à la forêt boréale, un environnement unique au monde. Ils arrivent en mi-journée au lac Waconichi où un mini village équipé de plusieurs chalets, faisant office de camp de base des expéditions de pêche quotidiennes, est à la disposition des pêcheurs.

«Pêcher le brochet à la mouche comporte sa part de défis et le matériel utilisé doit être diversifié afin de l'adapter aux conditions.»

«Il faut tout évaluer, le niveau de l'eau, la période de l'année, le moment de la journée, l'habitat, etc.» Pour Mathieu, il s'agit d'une quête. Nos trois pêcheurs entament donc leur première journée sans guide, à la recherche des fameux « requins d'eau douce ». Dans cet environnement de qualité, l'eau est si claire qu'on peut « pêcher à vue ». Mais le redoutable ésocidé est rusé; il faut deviner son comportement afin de bien se positionner pour le prendre.

Malgré les attentes élevées des deux ou trois premiers jours et quelques prises intéressantes,

le gros monstre tant espéré n'est pas encore au rendez-vous. « On commençait à douter », avoue Mathieu. À la fin de la quatrième journée, le trio de pêcheurs fait réagir quelques spécimens, sans toutefois réussir à les sortir. Le groupe décide alors de se séparer et au bout d'un moment, ils entendent crier Fred, parti seul en bateau. Ils le retrouvent avec la canne à pêche à bout de bras et réalisent qu'il fallait filmer ce moment en vitesse. Résultat de cette première prise : un poisson-trophée de 42-43 pouces! L'objectif ultime! Le sourire s'affiche alors sur toutes les lèvres, l'ambiance se métamorphose.

Le lendemain, fort de cette expérience, le trio part pour le lac Robineau, à 2h30 au nord de Waconichi, par la Route du Nord. La transition vers une végétation nordique est nettement perceptible.

« C'est un lac plus isolé, sur une route difficile, un territoire exclusif et Mathieu réalise la chance qu'il a de profiter de ce lieu privilégié. Son sentiment est à son comble lorsqu'il découvre la vue imprenable sur le lac Robineau. »

Ils profitent du reste de cette journée pour faire une reconnaissance des lieux et établir une stratégie, notant tous les indices qui pourraient servir à maximiser leur pêche du lendemain. Ils avaient repéré des bancs de gros dorés, un indicateur de biomasse du gros brochet et en avaient même laissé s'échapper dans le courant au tournant de la rivière. Cette source de renseignements allait mettre la table à une journée riche en rebondissements.

Au petit matin, nos pêcheurs gonflés à bloc commencent à taquiner le poisson. Dans le même secteur que la veille, ils prennent plusieurs dorés et aperçoivent des brochets en grand nombre. « On les voyait taquiner la queue de la mouche », relate Mathieu. À la mi-journée, ils décident de former deux équipes. Juliette et Fred prennent alors plusieurs gros brochets. Sans être compétitif, Mathieu avait hâte d'égaler la marque de Fred avec son monstre de 43 pouces. Il retourne alors vers une grande fosse aperçue plus tôt et frappe un haut-fond avec le bateau. C'est alors qu'un monstre d'une quarantaine de pouces, sorti des profondeurs de la fosse, attaque sa mouche et s'y agrippe avec un angle parfait. Ce fut un combat épique filmé en direct et l'heureuse conclusion d'une expédition de pêche exceptionnelle.

« Un monstre de 45 pouces, mon plus gros brochet à vie! ».

 

Cette dernière journée de pêche dans la réserve faunique AMW venait combler les attentes et les objectifs de pêche du voyage, sois un gros « requin d'eau douce » pour chacun. Cette quête terminée, c'est la tête remplie d'images inédites et d'aventures mémorables que l'équipe retourne au bercail avec la ferme intention de répéter l'expérience le plus souvent possible. Mathieu a désormais ce territoire nordique gravé sur le cœur.